Gens d'ici
Les frères Durand, laboureurs en Lauragais
Nés en 1929, Germain et François Durand sont jumeaux. Ils appartiennent
à une famille nombreuse composée de huit enfants. Depuis le
début des années 40 jusqu'à leur retraite en 1995, ils
ont toujours utilisé des bufs pour réaliser tous les travaux
des champs, perpétuant ainsi la tradition agricole lauragaise. Couleur
Lauragais les a rencontrés.
La
famille Durand, originaire du Lauragais depuis plusieurs générations,
s'est installée à Saint Anatoly en 1909 pour prendre en métayage
une propriété détenue par une riche famille de Lanta
; une exploitation de 26 hectares où la famille cultivait le blé,
le maïs, l'orge et travaillait les vignes. Elle avait pour obligation
de partager en deux les récoltes, et d'en donner la moitié aux
propriétaires de la terre. Il fallait également conserver la
quantité de grains suffisante permettant de resemer les champs la saison
suivante. Ce qui restait était vendu à la coopérative
de Caraman.
Les deux frères
ont commencé à travailler à l'âge de 13 ans. Comme
pour leurs six frères et surs, leur journée débutait
vers 4 heures du matin (heure solaire). Ils effectuaient toutes sortes de
tâches sur l'exploitation depuis le travail des champs jusqu'à
la nourriture des bêtes. La journée durait alors souvent jusqu'à
19h ou 20h (heure solaire).
L'année était rythmée par la préparation de la
terre pour les semailles, nous expliquent-ils. Il fallait alors plusieurs
semaines, voire plusieurs mois pour réaliser cette tâche : labourer
d'abord le terrain, puis repasser pour casser les mottes et enfin assouplir
la terre avant les premières plantations.
En septembre et pendant deux mois entiers, on préparait ainsi les terres
pour le blé. En novembre et décembre c'était au tour
du maïs, puis de la vigne qu'il fallait tailler à partir d'avril.
Germain et François,
conservent encore dans un hangar, toutes les pièces nécessaires
à l'attelage.
L'arnachage des bufs, expliquent-ils, est composé de plusieurs pièces
: le timon est une barre de bois qui est attaché au joug par une rotonde,
pièce en fer permettant de tenir une cheville.
On
peut ainsi atteler de nombreux outils sur le timon et la famille Durand en
possède en-core de nombreux, tous en fer et qui ont bien résisté
au temps :
- le "rateau" pour ramasser les fourrages,
- le "rouleau à pointes" et le "triangle" pour
casser les mottes de terre,
- le "canadien" pour recouvrir le blé,
- le "brabant" pour labourer,
- la "faucheuse" pour l'herbe,
- le "semoir à blé".
Les bêtes
utilisées pour tirer ces différents outillages étaient
toutes choisies pour leur rusticité et leur caractère robuste.
C'était essentiellement des bufs (ou, à défaut, des vaches)
de race gasconne ou limousine la plupart du temps. Ceux-ci étaient
achetés à un marchand de bestiaux de l'Aubrac. Une jument servait
également pour retourner le fourrage.
Pesant entre 700 et 800 kg, les bufs de travail étaient plus musclés
et moins lourds que les bufs à engraisser (ceux ci pèsent en
effet plus d'une tonne). Ils pouvaient commencer à labourer à
partir de deux ans et jusqu'à environ douze ans. Les bufs les plus
jeunes étaient les plus difficiles à faire travailler. En effet,
un apprentissage était nécessaire et il fallait attendre plusieurs
mois pour obtenir un buf apte au labour. Cette période d'apprentissage
était souvent plus rapide quand on réunissait sous un même
joug la
bête la plus jeune avec un buf plus âgé qui aidait à
son éducation.
Un attelage nécessitait souvent deux personnes : une derrière
pour faire avancer les bufs, l'autre devant pour mener l'attelage. Il fallait
faire particulièrement attention aux accidents toujours possibles notamment
lorsque les bêtes dérangeaient un nid de guêpes ou de frelons
en plein milieu des champs et filaient à l'autre bout de l'exploitation.
Difficile alors de retenir une tonne et demi de muscles en pleine action !
A partir des
années 60, expliquent les frères Durand, les derniers attelages
ont commencé à disparaître et furent remplacés
par des tracteurs plus fonctionnels et surtout plus rapides. Mais eux ont
continué à faire confiance aux méthodes ancestrales,
par obligation d'abord mais également par passion de leur métier
et du travail bien fait. Germain et François ont pris en 1995 une retraite
bien méritée. Ils ont cependant continué à faire
la une des journaux et de la télévision, pour faire connaître
les méthodes de labourage du début du siècle.
Interview
: Pascal RASSAT
Couleur Lauragais N°16 - Octobre 1999