Gens d'ici
" Parcours initiatique de l'apiculteur
Jacques DESQUEYROUX
a un hobby : il pratique depuis une vingtaine d'années l'apiculture.
Couleur Lauragais lui a demandé de nous donner un petit cours appliqué
et de nous parler de ses joies mais aussi de ses inquiétudes.
Originaire
de
la Gironde, Jacques Desqueyroux est menuisier de formation. Rien ne le destinait
donc à devenir un jour apiculteur. Pourtant, au début des années
80, à la suite de la lecture d'un ouvrage sur le sujet, il décide
de construire sa première ruche. Ce qui ne devait être qu'un
passe-temps est bien vite devenu une véritable passion qu'il pratique
aujourd'hui chaque jour, après son travail. Avec la centaine de ruches
qu'il possède aujourd'hui, on peut estimer, au bas mot, que Jacques
veille jalousement sur une micro-société de 4 millions « d' individus ».
Une passion communicative et qu'il aime faire partager ! Il faut l'entendre parler des abeilles et expliquer le parcours initiatique étonnant de cet insecte préhistorique. L'abeille, explique-t-il, est d'abord nourrice, puis devient cirière, porteuse d'eau, gardienne avant de finir sa vie comme butineuse. Une vie chargée mais courte : trois mois en hiver et souvent pas plus d'un mois en été où son activité débordante l'épuise littéralement.
- Il existe plusieurs dizaines d'espèces mais celle choisie par Jacques
pour ses propres ruches a été créée par un moine
allemand, le frère Adam. Dans les années 30, ce dernier fuit
le régime nazi et s'embarque pour l'Angleterre où il entre dans
une abbaye. Chargé de s'occuper des ruchers, il se passionne très
rapidement pour les abeilles et croise différentes espèces pour
arriver à une nouvelle race possédant trois caractéristiques
:
- La douceur : ces abeilles ne sont absolument pas agressives contrairement
à certaines espèces qui peuvent être plus agitées,
- Une productivité importante,
- C'est une race qui n'essaime pas (*).
La production des ruches est très variable selon les endroits : de
15 kg à plus de 70 kg (**) dans des lieux plus propices. L'apiculteur
d'Ayguevives pratique aussi la transhumance. Une fois par an, vers la fin
août, il porte ses ruches les plus productives dans les Corbières.
Les saisons y sont légèrement décalées et l'on
y trouve une végétation plus abondante. Sa production de miel
s'en trouve bien sûr enrichie avec des variétés élargies.
Et le miel, comme
sait en parler Jacques, c'est tout un art !
- Les miels les plus clairs, explique-t-il, sont souvent les plus agréables
en bouche. Les plus foncés sont plus tannés et plus «
robustes » à la dégustation. Ses ruches produisent différentes
essences de miel : du miel de romarin, de chataîgnier, de rododhendron,
de colza, de tournesol, d'acacias ou le miel toutes fleurs (souvent le plus
demandé). Outre le miel de détail, Jacques produit aussi pour
le marché agro-alimentaire de gros : des fûts de 300 kilos qui
serviront d'élément de base pour les pains d'épice et
autres confiseries. Mais le miel n'est que l'un des produits de la ruche.
Il y en a beaucoup d'autres :
- le pollen, organe mâle des fleurs, de plus en plus reconnu pour sa
valeur nutritive et pour ses propriétés préventives de
maladies,
- La gelée royale, secrétée par les jeunes ouvrières
et qui constitue la nourriture unique de la reine,
- Le propolis : sorte de gomme récupérée sur les pousses
tendres des arbres. On raconte que Stradivarius en vernissait ses violons,
ce qui, paraît-il, leur donnait leur inimitable sonorité. Cette
gomme constitue aussi un remède naturel contre le mal de gorge,
- La cire, secrétée par les jeunes abeilles,
- Il y a aussi aujourd'hui toute la gamme des produits dérivés
: citons notamment l'hydromel, la boisson des dieux, alcool à 14°
environ à base d'eau et de miel. Plusieurs apiculteurs ont travaillé
dans notre région avec le lycée agricole d'Auzeville pour produire
à nouveau ce délicieux breuvage, à consommer avec modération
!
Jacques aborde ensuite les inquiétudes des apiculteurs pour l'avenir.
Tout d'abord, explique-t-il, les abeilles constituent un formidable baromètre
naturel. Or, plusieurs dangers guettent aujourd'hui les ruchers. Il y a quelques
temps, les pouvoirs publics avaient découvert qu'un produit épandu
sur les champs perturbait l'abeille, brouillait son « radar »
et l'empêchait de retrouver le chemin de la ruche. Certes, ce produit
a été interdit mais uniquement sur les cultures de tournesol
; il reste encore largement utilisés sur les autres types de cultures.
D'autre part, le varrois ( sorte de gros pou qui se fixe sur le mâle
et rend les abeilles rachitiques ), et l'arrivée progressive des organismes
génétiquement modifiés, sont autant de motifs d'inquiétude
pour les apiculteurs.
On
commencerait également à souffrir d'un nombre insuffisant de
ruches. Jacques explique en effet que les abeilles couvrent un rayon moyen
de trois kilomètres, rayon sur lequel elles effectuent la pollinisation
(***). Auparavant, il y avait beaucoup plus de ruches et d'essaims. Aujourd'hui,
les apiculteurs sont de plus en plus sollicités par les agriculteurs
pour installer des ruches près de leurs champs pendant la période
de floraison. Et quand on sait qu'il faut compter en moyenne douze ruches
à l'hectare pour une pollinisation correcte, on peut se demander quel
serait l'avenir sans ce chaînon naturel essentiel. En effet, les abeilles
sont indispensables pour obtenir des plantes, légumes ou fruits de
qualité. Jacques explique que pour montrer toute l'utilité des
abeilles à un agriculteur, il avait protégé une parcelle
de champs de tournesol avec un filet pour empêcher les insectes de
butiner.
À la fin de la période, le résultat était éloquent
: les tournesols non butinés étaient restés « poilus
», les graines ne s'étaient pas correctement développées.
La production sur cette parcelle a été inférieure de
30% au reste de la récolte où la pollinisation avait pû
se réaliser. De même, les arbres fruitiers butinés donnent
des fruits plus gros, plus charnus et avec plus de goût. Des fruits
qui ont également l'avantage majeur de se conserver plus longtemps
que les fruits issus d'arbres non butinés.
Autant de raisons pour être aujourd'hui très attentif à
la préservation de cet insecte irremplaçable.
Pascal RASSAT
Couleur Lauragais N°14 - Juillet/Août 1999