Histoire
" SOUS LES AILES DE L'AEROPOSTALE "Couleur Lauragais vous raconte ce mois-ci l'origine de cette fabuleuse aventure humaine de l'Aéropostale qui débuta en 1919 dans le Lauragais avec la fameuse " Ligne " créée par l'industriel Pierre Georges Latécoère.
En Lauragais,
les deux phares de la " Ligne " sont les ultimes témoignages
matériels de l'époque de cette compagnie Aéropostale
qui a fait vibrer le coeur des Français pendant vingt ans (de 1920 à
1940). Celui de Montferrand est en bon état, avec une excellente mise
en valeur au moyen de panneaux explicatifs. Celui de Baziège est lui
aussi bien conservé. Des noms prestigieux sont attachés à
ces précieuses reliques, car " ils " sont passés
ici
: " ils ", ce sont bien sûr tous les personnages rattachés
à cette époque : Guillaumet, Reine, Mermoz, Saint Exupéry.
Le " Petit Prince " a survolé notre Lauragais !
L'ouverture
de
la ligne " Toulouse-Casablanca "
En 1919, c'est Pierre Georges Latécoère qui conçut le
projet de liaison aérienne France-Amérique du Sud, pour transporter
rapidement le courrier, de Toulouse-Montaudran à Santiago
du Chili.
Le
phare de Baziège
(crédit photo : Jacques Batigne) |
Le premier tronçon Toulouse-Casablanca était le plus accessible. Mais avec des avions Salmson qui sortaient de la guerre, à une vitesse de 120km/h, sans aucun appareil de navigation et qui ne pouvaient voler que le jour, cette accessibilité devenait toute relative. Ils décollaient de Montaudran, volaient à 200 m d'altitude environ, en suivant les arbres du Canal du Midi jusqu'à Narbonne puis la côte espagnole jusqu'à Gibraltar. L'atterrissage se faisait facilement sur les plages car l'avion s'immobilisait sur une courte distance (100 mètres environ). Le parcours Toulouse-Casablanca (1850 km) était jalonné d'étapes telles Barcelone, Alicante, Malaga, Tanger, Rabat pour finalement se poser à Casablanca. Le premier vol " régulier " sur ce tronçon de ligne date de septembre 1919 et a été réalisé par Didier Daurat.
La ligne franchit le désert
De saut de puce en saut de puce, les avions progressent sur la ligne avec
de nouveaux points d'atterrissage tels Agadir, Cap Juby, Villa Cisneros, Port
Etienne, Saint Louis, Dakar : 2850 km dont 1500 au dessus du Sahara, alors
occupé par des tribus de Maures hostiles. Avec des températures
torrides, des vents de sable redoutables, chaque vol était une aventure
aux résultats imprévisibles. Un vol préliminaire a lieu
le 3 mai 1923 avec trois avions (des Bréguet 14). Après des
atterrissages forcés en plein désert, Dakar est finalement atteint
le 5 mai. L'arrivée au sol ne pose guère de problème,
près de vieux forts espagnols à Cap Juby et Villa Cisneros.
Mais l'autorité espagnole s'arrête aux portes du fort et les
occupants du désert, les Maures, tirent sur les avions et font prisonniers
les pilotes pour demander une rançon. Inconnus et insoumis, ces "
guerriers bleus " ont alors très mauvaise réputation. Le
premier jour, ils coupent un doigt d'un prisonnier et l'envoient aux autorités
pour la rançon ; le deuxième, ils coupent la main et cicatrisent
les plaies avec de la bouse de chameau.
En juin 1925, la liaison devient régulière. On utilise alors
deux avions volant de concert, l'un prenant l'équipage de l'autre si
une panne survient (et les pannes sont fréquentes). Peu à peu,
les moteurs des avions deviennent rapidement beaucoup plus puissants ; avec
les 450 CV des Laté 25 et 26, la traversée du désert
devient moins difficile.
La ligne atteint l'Amérique du Sud
Latécoère avait défriché le terrain dès
le printemps 1924 et trois Bréguet 14 arrivèrent au Brésil
en janvier 1925. Ils relient alors Rio à Buenos Aires en trente six
heures avec escales à Santos, Florianopolis, Porto Alègre, Pelotas,
Montévidéo et, au final, Buenos Aires. C'est la traversée
des Andes qui posait le problème le plus délicat. Les avions
devaient se faufiler entre des massifs et des pics de plus de 6000 m, en suivant
les vallées et franchissant les cols. C'est en 1927 que Mermoz arrive
en Amérique du Sud et qu'il établit la ligne de Natal jusqu'à
Santiago.
La traversée de l'Atlantique de Dakar à Natal
Traverser l'Atlantique, cela veut dire parcourir 3000 km, sans escale, au
dessus de l'Océan. Pour le courrier, on utilise d'abord des bateaux
rapides, des avisos qui font la traversée en quatre à six jours.
Latécoère a l'idée de transformer un avion, un Laté
28, en lui mettant un moteur Hispano de 650 CV et des flotteurs à la
place des roues. Le Laté s'improvise ainsi hydravion. C'est le 12 mai
1930 que Mermoz réussit la traversée en vingt et une heures
de vol, de Dakar à Natal. En 1930, la ligne Toulouse-Santiago, longue
de 13 000 km, est officiellement ouverte.
Des avions fabuleux et des hommes courageux
L'histoire de l'Aéropostale est aussi marquée par de formidables
progrès techniques. L'avion de combat rudimentaire Salmson, utilisé
au début en 1919-20, avec une vitesse de 120 km/h, est très
rustique. Après lui, le Bréguet 14, un biplan équipé
d'un moteur de 300 CV et qui vole à 125 km/h, a déjà
un rayon d'action de 460 km. Il a été construit à Montaudran
en métal, bois et toile. Les Laté 26 puis 28 filent respectivement
à 160 et 215 km/h avec un moteur de 500 CV. Ils sont également
équipés de radio et fusées éclairantes pour l'atterrissage
et permettent donc les vols de nuit. Certains hydravions de la période
1930-39 sont célèbres comme " la Croix du Sud ".
Mais l'Aéropostale, ce sont avant tout des hommes d'une trempe exceptionnelle
comme le visionnaire Latécoère, ou encore les administrateurs
Didier Daurat et Bouilloux-Laffont. Parmi les pilotes, Mermoz est l'un des
plus célèbres. Il trouvera la mort lors de sa vingt quatrième
traversée de l'Atlantique Sud avec " la Croix du Sud ", le
7 décembre 1936. Guillaumet pilote avec Mermoz, il traverse quatre
vingt douze fois l'Atlantique Sud ; il est aussi fréquemment le coéquipier
de Reine, autre pilote courageux. Tous les deux disparaissent dans un avion
abattu le 27 novembre 1940 par un chasseur italien près de la Sardaigne.
Et puis bien sûr, il y a Saint Exupéry, l'auteur de " Terre
des hommes ", du " Petit Prince " et de " Vol de nuit
" ; ce dernier a travaillé surtout sur les lignes d'Amérique
du Sud. Pendant la guerre de 39-45, il reprend du service et sera abattu en
Juillet 44 aux commandes d'un Lightning P 38 par la DCA ou par un chasseur
allemand au Sud de Toulon.
Un prix élevé, les victimes de la ligne
Le 6 novembre 1923, un Bréguet 14 s'écrase à Ayguesvives,
au bord du canal, près du pont des Romains. Le pilote Georges Payan
est tué.
Les autres victimes de " la ligne " sont nombreuses. Chaque année
plusieurs pilotes, radios, navigateurs disparaissent dans des accidents meurtriers.
Le record des pertes, en 1936, est de 17 disparus. La Ligne a dévoré
ses propres pionniers avec un total de 120 victimes.
Aujourd'hui, à l'aube de l'an 2000, Toulouse est devenue la capitale européenne de la construction aéronautique. L'Aéropostale et le mythique terrain de Montaudran sont les points de repère de cette épopée. Car ces pilotes ont ouvert la voie et ont fait de Toulouse la plus fameuse des " terres d'envol ".
Jean Odol
Bibliographie
:
* " L'Aéropostale, l'histoire, les hommes" Castres - 1993
* Communication de documents originaux sur l'Aéropostale appartenant
à M. et Mme Brousse "Hôtel du Grand Balcon".
Couleur
Lauragais N°8 - Décembre 1998/Janvier 1999