De nombreux colloques, expositions, publications marquent en 1998 le 9ème centenaire de la fondation de l'Ordre de Citeaux. Cet ordre religieux prestigieux est le plus important du monde médiéval du XIème au XVème siècle. Il a couvert l'Europe de plusieurs centaines de monastères (700), de l'Angleterre à la Pologne, du Portugal à l'Italie en passant par la France, l'Allemagne et l'Espagne. Nous possédons en Lauragais les vestiges de deux de ces monastères : Villelongue ( commune de Saint Martin le Vieil) et Boulbonne ( Mazères et Cintegabelle). Découvrons ensemble les traces de Citeaux dans la vie lauragaise et l'abbaye de Boulbonne.
L'Ordre de Citeaux a été fondé en 1098 par Robert de Molesmes à Citeaux (en Bourgogne, près de Dijon) dans une forêt marécageuse peuplée de cistels (roseaux). C'est Saint Bernard qui donna la Règle à l'ordre en fondant Clairvaux. C'est une formidable épopée spirituelle que celle qui débute à Citeaux avec un groupe de moines qui se retirent dans un lieu isolé et hostile pour prier et faire pénitence. Un siècle après, à la fin du XIIème siècle, des centaines d'abbayes quadrillent toute l'Europe avec de splendides bâtiments religieux ; une architecture cistercienne unique qui nous a laissé dans notre région, malgré les vicissitudes du temps et d'innombrables destructions, les églises de Flaran, de Beaulieu, de Sylvanès, de l'Escaladieu, de Fontfroide, de Rieunette ou l'extraordinaire "église des vignes" de Valmagne (à l'ouest de Pézenas).
L'Ordre
de Citeaux est un retour à la rigueur et à l'austérité
de Saint Benoît. Cette Règle, élaborée au Mont
Cassin entre 543 et 560, place au cur de la vie monastique l'Opus Dei ou uvre
de Dieu qui consiste en la récitation de huit offices par jour. En
dehors de ces offices, l'emploi du temps du moine se partage entre la lecture
(tous les monastères ont une bibliothèque), le travail (au moins
sept heures d'activité manuelle par jour en été), les
repas (pas de viande pour les cisterciens) et le sommeil. La nouveauté
de l'Ordre cistercien est que le moine, animé d'un esprit de pauvreté,
ne doit pas être un rentier du sol, ni vivre du travail d'autrui. Il
doit assurer lui même, avec ses mains, la mise en valeur des terres
et la subsistance de la communauté, d'où l'image du moine défricheur.
Le travail manuel fait partie de la vie d'ascèse que le moine cistercien
s'impose. Les moines prêtres se feront aider cependant par d'autres
religieux habitant l'abbaye appelés « convers ». Le patrimoine
est divisé en plusieurs domaines, ou granges, économiquement
complémentaires.
Très rapidement « les moines blancs » acquièrent
une maîtrise exceptionnelle des techniques et de la gestion. Ils mettent
en place des grands travaux de défrichement, d'assèchement de
marais, de construction de canaux, moulins et forges et deviennent ainsi les
initiateurs du progrès économique dans une Europe en pleine
expansion. Ce succès dégage rapidement des excédents
financiers énormes : les abbayes possèdent une prodigieuse richesse
et la décadence, de ce fait, commence. Fontfroide possédait
ainsi 20 000 hectares de terres et vignes et 20 000 moutons, des salines vers
Narbonne, avec une grange (à Fontcalvy, forteresse étonnante
qui nous est parvenue, isolée au milieu des vignes). Le déclin
est sensible à partir du XIVème siècle. Mais, cependant,
après bien des crises échelonnées sur plusieurs siècles
et suite à de multiples réformes, l'Ordre perdure jusqu'à
nos jours. 900 ans après sa fondation, il est toujours vivant, avec
des abbayes dispersées dans le monde entier.
« La commune
observance » compte 88 monastères masculins dont 21 hors d'Europe
(soit près de 1300 moines) et 66 monastères féminins
comptant 1100 moniales.
Dans notre région, les restes cisterciens sont plus ou moins mutilés,
citons ainsi Eaunes (près de Muret), Calers ( commune de Gaillac Toulza)
ou presque intacts : Flaran, Escaladieu, Sylvanès, Loc-Dieu, le Vignogoul,
Fontfroide, qui est la mère de la grandiose abbaye de Poblet en Catalogne,
les 3 surs provençales : Sénanques, Silvacane et le Thoronet,
Villelongue et Boulbonne.
L'ABBAYE DE BOULBONNE
Boulbonne ? C'est
le Saint Denis des comtes de Foix. Le prestige de l'abbaye était tel
que les plus célèbres comtes du XIIIème siècle,
comme Raimon Roger ( le vainqueur de la bataille de Baziège) ou Roger
Bernard, s'y faisaient inhumer, enveloppés dans l'habit blanc des moines
de Citeaux. Il faut bien distinguer les deux abbayes de Boulbonne.
La
première (Boulbonne I) était sur les bords du Raunier, à
3 km environ, en plein Sud de Mazères. C'était la plus célèbre
abbaye médiévale, la plus prestigieuse de la région toulousaine
et de l'Ariège. Il n'en reste absolument rien sinon un mur d'un mètre
de haut et d'un mètre d'épaisseur. Sur l'emplacement du monastère,
trois bordes ont conservé des noms évocateurs : Boulbonne, le
Prieur, le Couvent. Boulbonne I a été incendiée et rasée
par les huguenots en 1567. Les moines reviennent dans la région au
XVIIème siècle et reconstruisent Boulbonne II à la confluence
de l'Hers vif et de l'Ariège, à Tramesaygues ( commune lauragaise
de Cintegabelle). Ici de très beaux restes témoignent aujourd'hui
de la puissance passée de l'abbaye et de son rayonnement spirituel.Les
origines de Boulbonne I sont obscures. Un prieuré bénédictin
se transforme en 1150 en faisant son entrée dans l'Ordre de Citeaux.
Les donations affluent : des terres, l'immense forêt de Boulbonne qui
leur est donnée par Roger Bernard en 1160, des pâturages dans
les Pyrénées, des bordes dans les collines céréalières
du Lauragais (le Cardinal, la Grange à Montgiscard, les Bastards à
Ayguesvives).
Le développement est dû essentiellement à la faveur des
comtes de Foix qui commencent à s'y faire enterrer dès la fin
du XIIème siècle, comme le rappelait Raimon Roger au concile
du Latran, à Rome, en 1215. Pendant la Croisade, Boulbonne ne prend
aucune part à la lutte contre le catharisme, les comtes de Foix comptant
dans leur famille de nombreuses, et célèbres, Parfaites hérétiques.
Boulbonne accepte dans son cimetière des comtes " réputés
hérétiques" et même accueille le célèbre
évêque cathare Guilhabert de Castres qui passe une nuit à
l'abri des murs du monastère. Au cur du pays cathare, les moines de
Boulbonne comptent de nombreux
complices des Parfaits ; de l'autre côté, un moine de Boulbonne,
Guillaume Claret, sera un disciple de Saint Dominique. De l'abbaye est sorti
un personnage très célèbre : Jacques Fournier, né
à Saverdun (ou Canté), moine à Boulbonne, abbé
de Fontfroide, évêque de Pamiers, de Mirepoix, enfin pape d'Avignon
(première moitié du XIVème siècle). Il nous a
légué un registre précieux lorsqu'il était Inquisiteur
à Pamiers : les procès verbaux des interrogatoires des suspects
d'hérésie, notamment ceux de Montaillou ou encore les aventures
du dernier Parfait Bélibaste.
A Tramesaygues, au XVIIème siècle, les biens fonciers demeurent
considérables, dispersés dans la plaine ou dans les collines
du Lauragais. C'est en 1753 que la translation des restes funèbres
des comtes de Foix se fait entre Mazères et Cintegabelle. Le dernier
abbé sera Jean Baptiste de Latour Landry, évêque de Saint
Papoul. La vente de l'abbaye amène la dispersion des tableaux vers
Cintegabelle. L'autel, qui a été divisé en deux est à
Nailloux et Cintegabelle, les orgues magnifiques sont à Cintegabelle.
Les restes des bâtiments ont fière allure. Si l'église
a entièrement disparu, les façades sont bien conservées,
la salle capitulaire, le réfectoire et une partie du cloître
sont intacts, ainsi que les pigeonniers et les écuries. Les orgues
fonctionnent toujours admirablement.
Citeaux a joué un rôle spirituel considérable en Lauragais
comme aux alentours avec une puissance économique énorme. Les
restes architecturaux de Boulbonne sont des joyaux qu'il faut absolument découvrir.
Jean
ODOL
Couleur Lauragais N°7 - Novembre 1998