Au fil de l'eau
" Le réservoir de Saint-Ferréol...
Nous sommes en octobre 1667. Pierre-Paul Riquet a prouvé aux commissaires
experts du Roi, dépêchés sur place, que sa « rigole
d'essai » pouvait bien amener l'eau de la Montagne Noire au point de
partage naturel, le seuil de Naurouze (189 mètres d'altitude), en quantité
suffisante pour alimenter le canal.
Pour que cette alimentation se fasse de façon régulière
et éviter les pénuries d'eau de la période sèche
estivale, il avait envisagé la construction d'une dizaine de «
magasins d'eau », c'est à dire de petits barrages-réservoirs,
sur les rivières Sor et Laudot, afin de stocker les débits excédentaires
d'hiver et de printemps.
Le Chevalier de Clerville, éminent technicien commissaire général
des fortifications, fut chargé par le Roi Louis XIV, d'étudier
les tracés et les devis, non seulement du Canal, mais aussi des rigoles
d'alimentation. Celui-ci suggéra à Riquet la construction d'un
seul et grand ouvrage, un barrage-réservoir d'une importante capacité
pouvant retenir et emmagasiner la totalité de la contenance du Canal,
soit environ 6 millions de mètres cubes. Et, malgré le fait
qu'on ne maîtrisait pas encore, à cette époque là,
les techniques de construction de grands barrages, cette solution fut adoptée
en 1666.
En accord avec
Riquet, les experts choisirent le vallon de Vaudreuille où serpentait
le ruisseau d'Audot (diminutif de « Aude », soit un cours d'eau
impétueux).
Près de la ferme de San-Fariol, un resserrement du vallon sur un verrou
rocheux fut retenu comme site de la fameuse digue de Saint-Ferréol,
dont la construction allait constituer au XVIIème siècle, un
exploit technique sans précédent.
« Cet ouvrage admirablement bien conservé et en service depuis
1672 sans la moindre défaillance, étonne encore de nos jours
les constructeurs contemporains » (citation de feu Monsieur Gabriel
Houlié, ingénieur hydraulogue au service de la la navigation
à Toulouse, ayant participé à la construction du barrage
de la Gravette aux Cammazes*). Certains disent encore de nos jours, que ce
barrage allait devenir à l'époque, le plus important du monde
..? Il fut commencé en avril 1667 (pose de la première pierre
en avril, en présence de l'archevêque de Toulouse et de l'évêque
de Saint-Papoul) et terminé en 1672. Plus de mille ouvriers : terrassiers,
maçons, charpentiers, tailleurs de pierres, forgerons vont y travailler
pendant cinq années sans relâche, sous la direction et le contrôle
de Riquet et de ses ingénieurs Andréossy, de Clerville et Vauban,
qui continuera après la disparition de Riquet en 1681.
Ce barrage-masse
est composé d'une digue de près de 800 mètres de longueur,
de 35 mètres de hauteur et de 120 mètres d'épaisseur,
pour une capacité totale de 6 millions et demi de mètres cubes
et une superficie de 67 hectares. Cette digue est elle-même composée
de trois murs :
- Le mur amont, qui est immergé dans les eaux, de 19,50 mètres
de haut et 3,90 mètres d'épaisseur, sur lequel est érigée
une colonne appelée pyramide de 21 mètres de hauteur,
- le mur central ou grand mur, long de 786 mètres et mesurant 34,50
mètres de hauteur (au point le plus bas dans le lit de la rivière),
avec une épaisseur de 10 mètres dans sa partie basse et de 1
mètre dans sa partie haute ; il est couronné par l'allée
promenade actuelle,
- le mur aval ou mur des voûtes, haut de 29,25 mètres, et de
2,80 mètres d'épaisseur.
Entre ces trois murailles distantes d'une soixantaine de mètres, ont
été tassés des remblais d'enrochement et des terres argileuses.
Elles sont reliées par quatre galeries souterraines, deux immergées
en amont et deux sèches en aval. À l'intérieur de ces
voûtes, se trouvent les mécanismes, vannes et « robinets
» de distribution et quantification de l'eau nécessaires à
l'alimentation du canal, ainsi que la vidange du réservoir. Ces galeries
sont superposées et ont des fonctions bien distinctes. A l'amont, nous
avons dans la partie inférieure la « voûte de l'enfer »
et dans la partie supérieure la « voûte du tambour ».
A l'aval en bas, nous avons la « voûte de vidange » et au-dessus
la « voûte des robinets ». Toutes deux sont accessibles
pour la commande des vieux robinets, l'ancien système, et des vannes
« papillon » en service aujourd'hui. D'autres vannes dites de
la « Badorque » et de trop plein, permettent également
l'évacuation de l'eau, et alimentent les cascades. Une canalisation
rejoint la fameuse gerbe d'eau dans le parc qui débite 4 000 mètres
cube par jour. L'ensemble du réservoir est alimenté par le lit
du Laudot, grossi des eaux du versant méditerranéen, elles-mêmes
déversées aux Cammazes par le passage de la « voûte
de Vauban » (aqueduc souterrain de 122 mètres de longueur et
3 mètres de largeur). Un petit canal appelé « Rigole de
Ceinture », contourne par le sud-est le réservoir de Saint-Ferréol
et permet de neutraliser l'entrée de l'eau dans celui-ci. L'ensemble
se rejoint en aval du barrage et reprend la vallée du Laudot jusqu'à
l'ancienne écluse des Thomasses. Cette dernière constitue le
point de jonction avec la Rigole de la Plaine, venant de Revel et amenant
les eaux du Sor par la dérivation du Pont- Crouzet. Le débit
des eaux est quantifié et mesuré avant l'arrivée à
Naurouze, point de partage, une trentaine de kilomètres plus loin.
Ces eaux alimentent alors le canal, dont les besoins sont de 18 à 24
millions de mètres cubes annuels.
Jacques Batigne.
(*) Voir numéro 6 de Couleur Lauragais
Couleur Lauragais N°7 - Novembre 1998