accueil
Couleur Lauragais : les journaux
Histoire

La chevauchée des Faydits de Montségur à Avignonet en passant par Antioche (1242 - 2005)

Dans la nuit de l’Ascension, du 28 au 29 mai 1242, une troupe de 50 cavaliers descendus du pog de Montségur massacre à Avignonet un tribunal religieux de l’Inquisition sous l’autorité de leur chef Pierre Roger de Mirepoix. Le massacre d’Avignonet est un des évènements majeurs du 13ème siècle occitan car il porte un coup très dur au catharisme.

 

Les remparts d’Avignonet, vestiges du XIIIème siècle
Crédit photo : Couleur Média



La préparation de la chevauchée de 1242

Le catharisme s’est puissamment implanté en Occitanie en général et en Lauragais en particulier : les évêchés cathares sont nés à Saint Félix en 1167, et de nombreux diacres sont installés à Lanta, Caraman, les Cassès, Montmaur. La Croisade contre les Cathares (1209-1229) est une invasion accompagnée de massacres (Lavaur, Bram) et de bûchers collectifs (Lavaur, les Cassès, Labécède). Vaincus, les Occitans et le Comte de Toulouse Raimon VII signent le traité de Paris (1229) par lequel le comté est amputé de territoires annexés par le roi Louis IX (Saint Louis) ; les forteresses du Lauragais sont démolies ; Jeanne de Toulouse, fille du comte conclut un mariage forcé avec le frère du roi, Alphonse de Poitiers ; le comté est annexé et disparaît en 1271. Après ce traité, l’Eglise catholique et romaine met sur pied un système de persécution ingénieux et efficace : l’Inquisition, fondée à Toulouse en 1233. Tribunal religieux ne devant des comptes qu’au pape, l’Inquisition traque les suspects d’hérésie, les arrête, les envoie au bûcher ; les exactions de ce tribunal sont bien connues et en 1241-42, deux Inquisiteurs, Guillaume Arnaud et Etienne de Saint Tibéry ont envoyé au bûcher une trentaine de personnes (voir ouvrage de Roquebert : "L’épopée Cathare" tome 4, page 336).
Pour lutter contre l’application du traité de Paris, Raimon VII prépare un soulèvement général du Midi de la France ; s’appuyant sur une alliance avec le comte de la Marche, le comte de Foix, de Comminges, le roi d’Angleterre (la région de Bordeaux est anglaise depuis le mariage de la duchesse Aliénor avec le roi d’Angleterre) et toute la noblesse d’Occitanie, Raimon se bat contre le roi de France : le signal du soulèvement est l’exécution des Inquisiteurs à Avignonet.La chevauchée de mai 1242 est préparée par le comte et par son neveu Raimon d’Alfaro, bayle d’Avignonet ; on fait appel aux faydits de Montségur, c’est-à-dire des chevaliers occitans du Lauragais et du Razès, dépossédés de leurs seigneuries et réfugiés à Montségur ; ce castrum était aussi la capitale spirituelle du catharisme où près de 200 Parfaits et Parfaites étaient défendus par une centaine de chevaliers et de sergents. Le chef de la garnison, Pierre Roger de Mirepoix, après avoir reçu une mystérieuse lettre, rassemble 50 cavaliers, tous triés sur le volet, court vers Avignonet où fait halte le tribunal de l’Inquisition composé de deux Inquisiteurs Guillaume Arnaud et Etienne de Saint Tibéry, deux Dominicains (Bernard de Roquefort et Gaesias d’Aure), des clercs, des secrétaires, 11 personnes au total.
Le trajet aller : la troupe de Pierre Roger quitte Montségur le 26 mai et passe trois nuits hors du castrum ; première nuit dans la forêt de Gaja la Selve (entre Gaja et Saint Amans) ; deuxième nuit : exécution des Inquisiteurs à Avignonet ; troisième nuit passée à Saint Félix de Tournegat. La première nuit, Pierre de Mazerolles arrive avec des renforts : 25 hommes de Gaja, puis halte au castrum d’Antioche d’où Pierre Roger supervise les opérations.
Le massacre : avec des complices dans Avignonet, les conjurés forcent les portes du château où dorment les Inquisiteurs et c’est le massacre, la ruée sauvage, aveugle, un carnage ; on coupe la langue de Guillaume Arnaud et l’on fait main basse sur un cheval noir, des draps ensanglantés, une Bible, une boîte de gingembre, les fameux registres inquisitoriaux.
Le retour est mal connu ; à l’aube du 29 mai la troupe retrouve Pierre Roger à Antioche puis suit une route occidentale jusqu’au coucher à Saint Félix de Tournegat où le curé catholique du lieu sert le repas à Pierre Roger... Le soulèvement projeté est un échec total, rapide et complet ; le roi d’Angleterre débarque tardivement à Bordeaux et est écrasé à Taillebourg ; une deuxième armée française attaque le Bas Languedoc ; le comte de Foix trahit et se soumet au roi. Raimon VII capitule une deuxième fois : paix de Lorris signée en 1243.
La conséquence la plus dramatique est le siège et le bûcher de Montségur (1244) par l’armée royale et l’Eglise catholique et romaine ; les forces royales sont inébranlables et après 10 mois de siège le bûcher s’allume pour 220 Parfaits et Parfaites. La capitale de l’hérésie disparaît dans les flammes.

Découverte d’Antioche

Tous les livres d’histoire du catharisme parlent de l’affaire et d’Avignonet, comment les faydits couchèrent dans la forêt et au castrum d’Antioche dont les seigneurs étaient aussi les seigneurs du Mas (Saintes Puelles). J’ai cherché ce castrum pendant des années car il ne figure sur aucune carte topographique ; c’est une habitante du lieu qui me mit sur la bonne voie ainsi qu’une publication sur les communes du canton de Salles sur l’Hers.
Antioche est sur le territoire de Payra sur l’Hers, à 5 km du village environ Sud Est et à 10 km de Salles sur l’Hers, au Sud du Mas, sous l’appellation La Tour ; Antioche est entrée dans mon histoire du Lauragais en 2005.


Aujourd’hui Antioche est le nom d’une grande ville de Turquie (400 000 habitants) connue sous le nom d’Antakya, près du fleuve côtier Oronte ; créée en 301 avant J.-C., son passé est très brillant : capitale de l’empire séleucide, elle est un grand centre commercial au débouché des caravanes qui, de la Mésopotamie, gagnent la Méditerranée. Lorsque la première Croisade (1099) se présente devant elle, la ville éblouit le chef de l’armée chrétienne Raimon IV de Toulouse qui contemple les remparts et ses 400 tours de défense ; rien de comparable en France ou en Europe. La ville et sa région constituent ensuite un état latin et chrétien sous le nom de Principauté d’Antioche ; la ville retombe aux mains des musulmans en 1268. Ce sont vraisemblablement des Croisés revenant de Terre Sainte qui ont choisi le nom prestigieux d’Antioche pour baptiser le castrum de la Piège ; celui-ci devait présenter une grande importance avec un château, un village, une église et son cimetière, des remparts ; ce castrum appartenait aux seigneurs du Mas, puissante famille cathare.



Statue d’un croisé à Avignonet - Crédit photo : J. Lauzé

Le curé d’Antioche devient évêque d’Avignon

Autre indice du rayonnement d’Antioche, l’Eglise attribue la paroisse à un curé d’origine noble et qui devient evêque : Jean de Cojordan, né à Belpech au début du 14ème siècle et mort à Mirepoix le 9 octobre 1361 ; le pape d’Avignon Benoît XII (originaire de Canté, près de Cintegabelle) le choisit comme chapelain, puis le fit évêque d’Avignon le 10 mai 1336 ; mais en 1342, sa charge de trésorier lui est enlevée : on pense qu’il encourut une disgrâce ; Un autre pape, Clément VI, l’installe sur le siège de Mirepoix en 1349 ; à sa mort sa dépouille fut transférée dans la chapelle Sainte Madeleine de l’église de Belpech où elle repose depuis.

Un évènement historique devenu traditionnel

Depuis 2001, le comité départemental équestre de la Haute Garonne et les cavaliers indépendant du Lauragais font revivre chaque année au mois de mai cet évènement historique du Lauragais. En 2005, on a reconstitué le tracé de 1242 pour une odyssée de 4 jours : ce fut un succès spectaculaire avec 70 cavaliers. Des hommes mais aussi de nombreuses femmes couchèrent à Roquefixade, Teilhet pour arriver sous les remparts d’Avignonet le 5 mai avec les oriflammes de la croix de Toulouse en tête du cortège.



La reconstitution de la chevauchée des faydits : chevalier portant l’oriflamme
Crédit photo : J. Lauzé

Ami lecteur, allez donc du côté d’Antioche vous replonger dans l’atmosphère médiévale d’un castrum, village clairière au milieu des forêts ; écoutez le silence dérangé seulement par le bruissement des feuilles des chênes pluricentenaires ; allez voir l’église-forteresse romane de Cazalrenoux, le portail roman de Gaja la Selve, l’église au splendide portail de Belpech. Si vous voulez voir des châteaux, allez visiter celui de Belflou, magnifiquement restauré en 2005, et celui de la Barthe. Allez admirer la couleur bleu pastel du lac de la Ganguise dont la mise en eau se poursuit jusqu’à 44 millions de m3.
Je vous proposerai bientôt une balade détaillée dans cette Piège admirable et inconnue.

Jean ODOL

Bibliographie :
Jean Odol : " la chevauchée des faydits, de Montségur à Avignonet" 2005

Couleur Lauragais n°80 - Mars 2006