Histoire
Fouilles archéologiques à Montferrand
Les fouilles archéologiques de Peyre Clouque sur la commune de Montferrand (Aude) ont repris depuis deux ans après une interruption de 40 ans. Elles sinscrivent dans un programme triennal accordé par la Direction Régionale des Affaires Culturelles du Languedoc-Roussillon. Cette enquête archéologique est organisée par Anne-Bénédicte Mérel-Brandenburg, historienne et archéologue, responsable scientifique de lopération (chargée de cours et attachée à lÉcole du Louvre, Paris). Voici le compte-rendu de linterview quelle nous a accordé.
Vue générale
de Peyre Clouque
Un
lieu stratégique
Le village de Montferrand occupe une place originale dans la région
en raison de sa situation géographique. Cest avant tout un lieu
de passage, une voie de communication. Depuis lAntiquité, le
"sillon du Lauragais" est une route commerciale fréquentée
reliant Narbonne à Toulouse et à Bordeaux : les Romains lappelaient
la "voie dAquitaine". La RN 113 en reprend de nos jours le
tracé. Depuis 1981, lautoroute des Deux-Mers passe au sud.
Léperon rocheux de Montferrand domine de cent mètres le
seuil de Naurouze, point le plus élevé (194 m.) de cette route.
Naurouze est un lieu éminent de la géographie européenne
: cest là que se situe la ligne de partage des eaux Atlantique-Méditerranée.
Ces conditions ont été favorables à létablissement
humain. En remontant à la plus haute Antiquité, les hommes ont
exploité les ressources naturelles et aménagé lenvironnement
en tenant compte des nouvelles techniques.
Peyre
Clouque
Le complexe architectural et cémétérial de Peyre Clouque
est situé à lest de thermes antiques et à 70 m
au nord-ouest de léglise médiévale Saint-Pierre-dAlzonne.
il montre la permanence de loccupation du sol de lantiquité
au moyen âge.
Ce site constitue un ensemble architectural et funéraire chrétien
en milieu rural fondé dans une agglomération antique, connue
par les textes et larchéologie, et sinscrit dans lAntiquité
tardive (IV-VIII siècle).
Il témoigne de façon probante de la christianisation des campagnes
dès la fin du IVème siècle et de lexistence dune
population adoptant dès le début du VIème siècle
des coutumes germaniques.
Découvertes
Lors de travaux agricoles sur les terres de M. Marti, minotier, ont été
mis au jour, en 1955, des fragments de murs au lieu-dit Peyre Clouque. Des
fouilles ont été aussitôt entreprises par le chanoine
Magniet et J. Audy.
La première campagne a permis le dégagement des thermes de petites
dimensions. La poursuite des fouilles, entre 1956 et 1960, vers lest
a révélé un second ensemble : un édifice complexe
et des tombes. En 1963, lEtat a acquis le terrain et la classé
Monument historique en 1964. Des bâtiments de protection ont été
construits ainsi quun dépôt de fouilles au sud des thermes.
Les fouilles entreprises par J. Audy et interrompues, lors de sa disparition,
ont attiré lattention sur limportance du site en raison
des découvertes dune richesse exceptionnelle : les vestiges architecturaux,
les sépultures, le mobilier anciennement découvert : accessoires
vestimentaires, monnaies, céramique, verrerie, conservés au
Centre de documentation archéologique de Castelnaudary.
Plaque-Boucle
de bronze ajouré aux chevaux
affrontés de part et d'autre d'une croix
Architecture
Lensemble architectural est formé de deux constructions mitoyennes
et de pièces annexes. Lédifice Nord, particulièrement
original par sa forme, est caractérisé par une salle de plan
barlong (10 m sur 15 m) souvrant sur une abside outrepassée.
Dans la nef de cet édifice cultuel, des massifs de poudingue correspondent
vraisemblablement à une construction postérieure (chapelle).
Lédifice Sud est une salle de plan quadrangulaire (6.50m sur
10m), dont la partie méridionale na pu être analysée
car bouleversée par une dénivellation résultant dun
terrassement. Les pièces annexes, au nord de labside, ont été
détruites après la construction du bâtiment de protection.
Sépultures
Lors du dégagement des structures architecturales, près de 140
tombes ont été dénombrées : 54 en sarcophages
encore visibles aujourdhui ; dautres en amphores, à entourage
de pierres ou en pleine terre.
Sarcophages
Matériel archéologique
Du matériel accompagnait certaines de ces sépultures, notamment
des accessoires vestimentaires : des plaques-boucles dont on doit souligner
la variété, une fibule, des bagues, des boucles doreilles,
témoignent dorigines diverses. Ce mobilier se rattache moins
aux mondes méditerranéen et visigotique quà des
modes régionales (Aquitaine) et septentrionales, ce que confirment
les trouvailles 2001. La présence de ces accessoires dans les tombes
traduit un changement dans les rites funéraires par la réapparition
des dépôts et la généralisation de linhumation
habillée, courante dans le Nord de la Gaule. Cette modification sexplique
entre autre par les contacts avec les populations germaniques vivant dans
la région. Ces observations sont dautant plus intéressantes
que Montferrand se trouvait, dès le VIème siècle, dans
une zone-frontière entre lAquitaine franque et la Septimanie
visigotique.
Cette investigation s'inscrit dans une recherche plus large concernant les
relations entre les différents peuples germaniques dune part,
et la population gallo-romaine dautre part, au cours de lAntiquité
tardive. Tout au long de cette période, marquée par laffirmation
du christianisme et lextension du pouvoir des Francs en Gaule, le Lauragais
est le terrain de multiples contacts culturels, politiques et le champ de
mutations socio-économiques.
Fibule d'orfevrerie
(VII ème siècle)
LAssociation
Patrimoine et Culture
Gestionnaire du projet, elle a pour but " la mise en valeur et la promotion
du patrimoine de Montferrand et de son environnement naturel, notamment par
laccueil et lanimation sur les sites " et mène cette
mission en collaboration avec Les Voies Navigables de France (VNF), responsable
du Domaine du Parc de Naurouze et lADATEL. Ses objectifs sont dattirer
lattention sur lun des plus anciens lieux de culte chrétien
de la Gaule méridionale, témoignage dune époque
riche dans notre région, et qui participe à notre culture, de
remettre en état les vestiges qui se dégradent de jour en jour
malgré les bâtiments de protection et les rendre accessibles
au public.
Plaque boucle de fer damasquiné au décor danimaux
fantastiques - VIIe s.
Résultats
de la campagne 2001
Lanalyse des données archéologiques a permis de déterminer
les limites dintervention, de cerner les zones de remblai liées
aux travaux de restauration et de localiser en surface les secteurs antiques
préservés.
Elle détermine que l'occupation du site est antérieure à
la construction du complexe cémétérial, ce que suggérait
la présence des thermes à lOuest. En 2000, des traces
ténues de l'âge du fer avaient été repérées,
du matériel céramique remontant au Haut Empire. La coupe stratigraphique
de labside Sud témoigne d'un état d'occupation du IIIème-IVème
s. Les découvertes 2001 confirment un établissement aux IVème-Vèmes.
dont la nature nest ni cultuelle, ni funéraire. Il faut à
lavenir en déterminer la nature en poursuivant lexploration.
La présence de structures interprétées comme le comblement
hypothétique dun drain et dun muret peut être liée
à lexploitation des terres au cours du Moyen Age ou de lépoque
moderne. Ces témoignages confirment la proximité dun pôle
de peuplement et la mise en valeur des terres sur la longue durée.
Cette campagne a permis de préciser la chronologie du complexe architectural.
Deux phases sont assurées :
La période de destruction des bâtiments était placée
au VIIème, en raison de la découverte en 1956 dans une sépulture
établie sur un mur dune plaque-boucle (fin du VIèmes
VIIèmes). Cette supposition a été confirmée par
la mise au jour dans lune des tombes recoupant le mur de labside
Sud dune plaque-boucle damasquinée de la seconde moitié
du VIIèmes.
En 2002 et 2003, les recherches vont se poursuivre et Couleur Lauragais ne
manquera pas de sen faire lécho auprès de ses lecteurs.
Interview
:
Christine LE MORVAN
Crédit photos : Collection A.-B. Brandeburg
Couleur Lauragais N°44 - Juillet/Août 2002