Histoire
Vivre autrefois dans une borde LauragaiseA travers
une histoire racontant la vie d'une famille paysanne, Odette Bedos nous donne
un aperçu de la vie dans une borde Lauragaise autrefois, et l'agrémente
du patois de nos ancêtres.
A
la Toussaint dernière (per Martrou), début de la morte saison
pour les ruraux, le Pierrou et la Maria déménagèrent
leur maigre mobilier, par char à bufs jusqu'à la Borde Blanche
(Borio Blanco).
Ils s'étaient engagés par contrat d'afferme notarié (ou
baux de métayage) à faire valoir "à moitié
fruit" l'exploitation de côteaux de Mestré Francés
comprenant environ 10 ha (un attelage et un hangar à un arceau).
Dans un deuxième convoi, Pierrou a transporté ses vieux parents
(le pépi et la ménino) dont il avait la charge.
"Borde Blanche"
était la ferme type du terrofort. C'était une bâtisse
monobloc en brique crue (argile et paille hâchée assurant l'isolation),
construite en travers des vents dominants (Autan et Cers).
Invariablement, s'y succédaient en enfilade et de plain-pied, l'habitation
de l'exploitant et les dépendances (étable, hangar, chai, porcherie).
Il y avait au Midi, une vaste salle commune conçue pour les grandes
familles rurales "vivant à même pot et feu" avec les
anciens (aujols). Dans cette pièce plus profonde que large aux murs
enduits d'un badigeon délavé, le vieux buffet coutumier (l'escudélié)
voisinait avec la pendule à caisse jadis vernissée. Au mur,
une image pieuse de Sainte Germaine. La table de ferme (la taoulo) et ses
bancs latéraux occupaient le centre, proche de la cheminée dont
le manteau abritait l'archibanc et la boîte à sel (saliniéro).
Le lit des parents, recouvert d'une courtepointe à carreaux, garnissait
la paroi côté étable. Uniquement éclairé
par une petite fenêtre romane (lé finestrou) située juste
au dessus de l'évier (lé dournié portant la dourno ou
cruche), cet espace familial était plutôt sombre. Souvent, l'on
devait y entrer par l'étable. Ainsi, on faisait l'économie d'une
porte.
La chambre (crambo) du maître valet se trouvait à l'arrière de la cuisine. Le plus souvent, elle était humide et exigüe. On s'en contentait car nos ancêtres savaient vivre chichement, n'étant pas nés dans l'opulence et le proverbe courant "Pichou mïou que tan bales" était leur devise (foyer, doux foyer).
Les
enfants (maïnatgés) ne disposaient que d'une mansarde (crambot),
nichée dans un coin du grenier (la falso), éclairée par
un oculus en demi lune (le souleilha). L'étable avait deux portes à
double battant. Elles se faisaient face et étaient conçues pour
laisser passer l'attelage immobilisé sous le joug (la jouato), fixé
par des liens (juillos ou courdils) aux cornes des précieux auxiliaires.
Le toit en tuiles romaines abritait gens, animaux de trait et vaches. Malgré
la propreté des lieux (changement de litière), l'étable
attirait les mouches. L'hiver, la parcimonieuse chaleur dégagée
par l'âtre, où cuisaient invariablement soupes et râgouts
de haricots et de fèves (estouffets de mounjetous ou de fabos) et la
bouillie de maïs (le milhas)*, ainsi que la tiédeur de l'étable
suffisaient à réchauffer les corps fatigués.
Le hangar servait à ranger les outils aratoires et les grains (blé
pour le meunier, maïs à égrener pour le gavage des oies
et des canards et pour les porcs). Un puits (lé pouts) pour l'eau potable
et une mare, excavation obtenue lorsqu'on extrayait l'argile servant à
construire la métairie, subvenaient aux besoins en eau des gens et
des bêtes. Pour les lessives, il fallait aller chercher le précieux
liquide dans le ruisseau le plus proche, souvent tari l'été.
On ne lavait pas tous les jours. Les enfants, bouches à nourrir, se
rendaient utiles. Ils fréquentaient peu l'école du village parfois
très éloignée. Ils gardaient leurs frères ainsi
que les oies et les canards et ne s'exprimaient qu'en patois (lé patoués).
(*)D'où le qualificatif donné aux habitants du Lauragais : Les "manjo-milhas".
Daprès
les recherches
d'Odette BEDOS
Couleur Lauragais N°16 - Octobre
1999